En réaction, Monsieur Duplomb s’est exprimé sur sa proposition de loi arguant notamment que les apiculteurs faisaient « fi des réalités scientifiques ». De nombreux apiculteurs et apicultrices se sont sentis insultés par les propos du sénateur.
Pour rétablir les faits, l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF) répond à Monsieur le sénateur Duplomb. Dans cette lettre ouverte, l’UNAF reprend un par un les arguments avancés par le sénateur de la Haute-Loire :
« Depuis 2018 et l’interdiction effective des néonicotinoïdes (NNI) en France, la production de miel continue à être aléatoire. Elle est bien plus liée aux conditions climatiques et aux ravageurs qu’à l’exposition aux produits phytosanitaires »
• Les pesticides et en particulier les néonicotinoïdes tuent les abeilles et les rendent aussi plus vulnérables aux autres menaces qui pèsent sur elles2. Les abeilles sont effectivement fortement impactées par les conditions climatiques, d’autant plus avec le changement climatique, et par les ravageurs. Il est donc insensé d’ajouter à cela l’impact de pesticides que l’on sait mortels pour elles et les autres pollinisateurs et qui augmentent leur vulnérabilité.
• Outre les néonicotinoïdes et les substances au mode d’action identique, dont l’utilisation est interdite en France depuis 2018, les abeilles et autres pollinisateurs sont toujours exposés à de nombreux produits toxiques tels que les fongicides SDHI par exemple3.
• Des centaines d’articles scientifiques ont établi le lien entre le déclin des pollinisateurs et l’utilisation des néonicotinoïdes4. Monsieur le Sénateur Duplomb ne peut affirmer sérieusement, faisant fi de la science pour reprendre ses propres termes, que ce sont les conditions climatiques et les ravageurs qui sont les principaux responsables du déclin des abeilles.
• Concernant la production de miel, les apiculteurs et apicultrices maintiennent tant bien que mal leur production malgré les mortalités en renouvelant leur cheptel régulièrement.
Cela constitue un coût économique considérable alors même que la filière est déjà sous pression en raison de la concurrence des miels étrangers moins chers et souvent frauduleux
« Il n’est pas question de réautoriser les NNI tueurs d’abeilles que sont l’imidaclopride, le clothianidine, le thiaclopride et le thiaméthoxame. Ceux-ci sont interdits à juste titre par l’Union européenne et c’est ainsi car c’est scientifiquement avéré. Par contre, il est bien question de réautoriser aux agriculteurs français l’accès à trois molécules NNI : l’acétamipride et deux autres matières actives la ffupyradifurone et le sulfoxaffor, déjà autorisées et utilisées partout ailleurs en Europe. L’objectif étant de revenir sur des surtranspositions européennes, et de remettre les normes françaises exactement au même niveau que nos voisins européens. Ces molécules avaient été interdites en France sans raison scientifique mais bien par pur dogmatisme politique et sans analyse des conséquences pour certaines filières, qui malheureusement tendent à disparaître, les unes après les autres, ce qui nous contraint à importer toujours plus de produits étrangers qui ne respectent en rien nos normes aux frontières et comportent des molécules interdites en France ; c’est à ce niveau qu’il y a un vrai danger de santé publique en France. »
• Il est bien question ici, contrairement à ce qu’affirme Monsieur Duplomb, de réautoriser les néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles », en l’occurrence l’acétamipride, le sulfoxaflor et le flupyradifurone. Certes il ne s’agit pas de réautoriser TOUS les néonicotinoïdes car cela est impossible sans violer le droit européen. Mais une telle distinction n’a pas lieu d’être, la différence entre ces différentes substances étant règlementaire (l’existence ou non d’une interdiction européenne) et ne résidant pas dans leur toxicité (les unes seraient toxiques pour les abeilles et les êtres humains tandis que les autres non, ce qui est totalement faux).
• Si l’acétamipride, le sulfoxaflor et le flupyradifurone sont interdits en France c’est, contrairement à ce qu’affirme le Sénateur L. Duplomb, parce qu’il existe des preuves scientifiques de leur toxicité pour les pollinisateurs et les êtres humains5. La France est la pionnière en UE concernant l’interdiction de ces substances et le bienfondé de cette décision est de plus en plus confirmée par la science mais pas seulement. Par exemple, depuis 2022, l’utilisation du sulfoxaflor n’est plus autorisée que dans les serres permanentes au niveau européen et en 2024 l’EFSA a recommandé d’abaisser les Doses Journalières Admissibles (DJA)6, les Doses de référence aigue (ARfD)7 et les Limites Maximales Résiduelles (LMR)8 de l’acétamipride (voir ci-après).
• Nous rappelons que l’interdiction des néonicotinoïdes et substances au mode d’action similaire a été décidé à la suite de longs débats. Il a fallu 20 ans aux apiculteurs, notamment l’UNAF, pour faire interdire ces produits toxiques. Il ne s’agit pas d’une décision prise à la légère et sans connaissance des impacts éventuels tant sur la santé et l’environnement que sur l’économie.
• Il a été rappelé maintes fois par l’UNAF et des associations de protection de l’environnement que parler de « surtransposition » pour faire référence à une interdiction nationale de substances toxiques non interdites au niveau européen est un non-sens juridique. Le règlement européen encadrant la mise sur le marché des pesticides prévoit en effet qu’un Etat membre doit retirer ou modifier une autorisation de mise sur le marché d’un pesticide lorsque celui-ci a des effets inacceptables sur l’environnement ou encore un effet nocif sur la santé animale9.
• Le seul élément sur lequel l’UNAF ne peut contredire le Sénateur est sur le risque d’une inégalité qu’une telle situation peut créer entre les agriculteurs français et les autres agriculteurs européens. C’est pourquoi l’UNAF et ses partenaires européens demandent l’interdiction de TOUS les néonicotinoïdes au niveau européen.
• La disparition des filières agricoles en France est due à une multitude de facteurs économiques, sociaux, environnementaux et structurels (un difficile renouvellement des générations, des revenus insuffisants, une concurrence internationale déloyale, le changement climatique, etc.) Pour préserver l’agriculture française, la réautorisation de produits toxiques pour les êtres humains et l’environnement est une fausse bonne idée. Les services écosystémiques rendus par la biodiversité sont indispensables à notre souveraineté alimentaire. Par exemple, l’apport du service de pollinisation à l’agriculture représente jusqu’à 5 milliards d’euros10.
• Certes, les alternatives aux pesticides interdits ne sont parfois pas aussi performantes que ces derniers, très efficaces car extrêmement toxiques. Dans ce cas, il peut exister un impact économique sur les filières agricoles concernées. Mais il faut mettre celui-ci en balance avec le coût environnemental et sanitaire de la non-interdiction de ces pesticides, et refuser ainsi les calculs courtermistes
• L’UNAF partage l’indignation de Monsieur le sénateur Duplomb concernant l’importation en France de produits étrangers ne respectant pas les normes françaises et européennes. Cela représente aussi un problème sur le marché du miel avec l’importation de miels frauduleux. Pour remédier à cela, la solution n’est pas d’abaisser nos normes à celles des produits importés mais de sortir des traités de libre échanges déraisonnés qui créent ces situations incohérentes. L’UNAF plaide depuis des années pour des contrôles systématiques sur les produits importés et des sanctions fortes pour les fraudeurs.
« Sur le cas particulier de l’acétamipride, c’est certes un NNI mais qui n’a rien d’un tueur d’abeilles et ce n’est pas moi, Laurent Duplomb, ni la FNSEA, ni les agriculteurs qui le disent mais les autorités sanitaires que sont l’EFSA pour l’UE et l’ANSES pour la France sur des bases on ne peut plus scientifiques. Les apiculteurs sont donc dans une posture qui fait fi des réalités scientifiques établies par les organismes européens et français en charge des sujets phytosanitaires. De plus, en France, aucun risque que les pollinisateurs, abeilles au premier chef, soient demain exposés à des insecticides pour la bonne et simple raison que l’arrêté pollinisateurs du 21 novembre 2021 interdit l’utilisation des insecticides durant la fforaison. »
• L’acétamipride, bien que moins toxique que les autres néonicotinoïdes pour les abeilles, n’en est pas moins un tueur d’abeille11. L’acétamipride est probablement le néonicotinoïde le plus dangereux pour la santé humaine selon Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS en chimie et toxicologie en se basant sur des publications récentes. La santé des agriculteurs est d’ailleurs la première impactée par l’utilisation des pesticides. Si Monsieur le Sénateur Duplomb souhaite vraiment défendre les agriculteurs et leurs salariés, il devrait s’inquiéter de la protection de leur santé.
• Si l’EFSA n’a pas proposé d’interdire l’acétamipride, elle a cependant reconnu dans son avis du 15 mai 2024 que « le poids des nouvelles preuves accumulées montrent qu’il demeure des incertitudes majeures s’agissant de la neurotoxicité au stade de développement » et que des données supplémentaires sont nécessaires pour permettre « une évaluation appropriée des dangers et des risques » de l’acétamipride. En conséquence, l’EFSA avait ainsi proposé de diviser par cinq les DJA12 et ARfD13 de l’acétamipride et recommandé à la Commission européenne de baisser les LMR14 de l’acétamipride pour de nombreux pesticides autorisés en UE.
• De la même manière, la position de l’Anses n’est pas aussi tranchée que le laisse entendre Monsieur Duplomb. Si en 2016 l’Anses considérait les risques pour les abeilles comme « acceptable »15, elle n’a jamais nié les dangers que cette substance représente. Sur la plateforme E-Phy16 il était d’ailleurs mentionné « dangereux pour les abeilles » pour l’ensemble des produits à base d’acétamipride autorisés. L’Anses s’auto-critique par ailleurs en soulignant les limites de ses évaluations concernant les risques à long terme pour les abeilles17. De nombreuses autres limites dans les procédés d’évaluations de l’Anses et de l’EFSA ont été soulignées par des associations et des laboratoires de recherches18. Il est aussi important de préciser que l’Anses teste les molécules seules. Or, les coformulants présents dans les mélanges commerciaux peuvent démultiplier leurs effets néfastes. Enfin, il faut prendre en compte les effets « cocktail »19 qui peuvent aussi démultiplier les impacts délétères de ces substances20.
• L’arrêté « pollinisateurs » du 21 novembre 2021, bien que représentant une amélioration par rapport à son prédécesseur qui datait de 2003, est loin d’être suffisant pour protéger les abeilles. Il permet en effet de traiter 2 heures avant le coucher du soleil alors que les abeilles butinent encore et prévoit de nombreuses dérogations.
Outre la question du contrôle du respect de cet arrêté par certains agriculteurs, qui est à questionner21, c’est méconnaitre grandement le fonctionnement de ces pesticides que d’affirmer que les pollinisateurs n’ont aucun risque d’être exposés par la simple application de cet arrêté.
Les pesticides ne disparaissent pas miraculeusement après l’épandage. Si l’arrêté « pollinisateurs » permet de réduire le risque pour les pollinisateurs de passer dans un nuage de poison qui leur seraient mortel, les risques restent nombreux.
Les néonicotinoïdes et produits au mode d’action similaire, sont des pesticides systémiques, c’est-à-dire qu’ils ne restent pas sur la surface traitée mais sont « absorbés par la plante et transportés vers tous les tissus (feuilles, fleurs, racines, tiges, ainsi que le pollen et le nectar) »22 et se diffusent donc dans l’environnement même après sa mort. Ces pesticides se retrouvent également dans les eaux de guttations produites par les plantes, qui sont une source d’eau riche en minéraux recherché par les pollinisateurs.
Ensuite, l’arrêté « pollinisateurs » encadre l’épandage des pesticides pendant la période d’attractivité des cultures considérées comme attractives pour les pollinisateurs. Ainsi, toutes les cultures considérées comme non attractives23 ne sont pas concernées par les restrictions de l’arrêté.
Or, il faut prendre en compte que dans un champ et autour de ce dernier il y a de nombreuses plantes qui se retrouvent contaminées et qui peuvent être visitées par les pollinisateurs (ex : les adventices). La floraison de ces plantes n’est d’ailleurs pas prise en compte dans l’arrêté. De la même façon, une abeille peut faire plusieurs kilomètres pour se nourrir, traverser un champ dont la culture n’est pas considérée comme attractive pour les pollinisateurs pour accéder à un autre patch de nourriture et se retrouver contaminée.
En conclusion, les affirmations du sénateur Laurent Duplomb dans la presse sont soit fausses, soit approximatives, soit partielles et partiales. L’UNAF déplore que de telles manipulations des faits soient la base d’une proposition de loi.
1 Voir les communications de l’UNAF : Communication du 24 janvier, Communication du 28 janvier
2 Voir « Plaidoyer de l’UNAF contre le retour des néonicotinoïdes » qui synthétise les éléments à connaitre sur cette famille de pesticides.
3 Voir par exemple la présentation de Freddie Jeanne Richard, directrice de recherche à l’INRAE, sur les SDHI lors d’un webinaire organisé par l’UNAF en 2024.
4 MNHN, Académie des sciences, Task Force on Systemic Pesticides, Évaluation scientifique collective des effets des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques le long du continuum terre-mer
5 Voir « Plaidoyer de l’UNAF contre le retour des néonicotinoïdes » qui cite de nombreux articles scientifiques démontrant la toxicité de ces trois substances et le bienfondé de leur interdiction.
6 L’EFSA définit la dose journalière admissible comme « la quantité estimée d’une substance présente dans les aliments ou dans l’eau potable qui peut être consommée quotidiennement pendant toute la durée d’une vie sans présenter de risque appréciable pour la santé ».
7 L’ARfD est définie par le Ministère de l’agriculture comme « la quantité maximum de substance qui peut être ingérée par le consommateur pendant une courte période, sans risque d’effet dangereux pour sa santé ».
8 La LMR est définie par le Ministère de l’agriculture comme « la concentration maximale admise sans risque pour la santé même si cette quantité est consommée chaque jour toute la vie de l’individu ».
9 Article 44. 3. a) du règlement européen n°1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
10 Plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation 2021-2026
11 Voir « Plaidoyer de l’UNAF contre le retour des néonicotinoïdes » qui cite les études démontrant la toxicité de l’acétamipride sur les abeilles et les êtres humains.
12 Supra note 6
13 Supra note 7
14 Supra note 8
15 Dossier de 2016 : ANSES – SUPREME 20 SG
16 La plateforme E-Phy, un catalogue des pesticides et de leurs usages, alimenté par les firmes de l’agrochimie et l’Anses mentionne clairement pour chaque produit à base d’acétamipride commercialisé à l’époque : « Dangereux pour les abeilles »
17 Anses, 22/02/2024
18 Exemples : Générations futures, INRAE
19 L’effet cocktail est l’augmentation de la toxicité résultant de l’exposition simultanée à plusieurs substances, même à faibles doses.
20 Par exemple, les fongicides azolés multiplient par 100 la toxicité de l’acétamipride pour les abeilles.
21 L’UNAF a déjà eu des remontées de terrain inquiétantes concernant des épandages violant l’arrêté
« pollinisateurs »
22 Définition donnée par la Task Force on Systemic Pestides
23 Elles sont définies dans une liste que l’UNAF a d’ailleurs dénoncé car elle contient des cultures attractives et qui a été annulée partiellement par le Conseil d’Etat en mai 2024.