Cette proposition, qui prévoit notamment de permettre à nouveau l’autorisation de néonicotinoïdes, constitue une régression inadmissible de la législation sur les pesticides en France, condamnant la biodiversité et la survie des pollinisateurs.
Un retour en arrière sur les néonicotinoïdes
La proposition de loi envisage de revenir sur l’interdiction des néonicotinoïdes, inscrite dans l’article L. 253-8 II du Code Rural et de la Pêche Maritime (CRPM). « Nous rappelons avec force que la très haute toxicité des insecticides néonicotinoïdes fait l’objet d’un consensus scientifique international irréfutable. La Task Force on Systemic Pesticides (TFSP), regroupant des scientifiques indépendants, a démontré à travers l’analyse de plus d’un millier d’études menées sur 25 ans que ces substances ont des effets délétères sur les abeilles et l’environnement. Sur le terrain, les apicultrices et apiculteurs ont vécu au quotidien les ravages des pesticides sur leurs essaims d’abeilles. Le Conseil d’Etat saisi maintes fois par l’UNAF, a systématiquement annulé depuis 20 ans toutes les AMM des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes, car elles ne font pas la preuve de leur innocuité à l’égard des abeilles exigée par la législation européenne. La proposition de loi, dictée par certains intérêts agro-industriels est inacceptable. Nous ne le laisserons pas faire », affirme Christian Pons, président de l’UNAF.
« Pour compenser son impuissance à s’opposer au Mercosur et calmer des esprits échauffés, la France s’apprêterait-elle à sacrifier à ce point la préservation de l’environnement et de la santé en lâchant du lest aux profit des tenants d’une industrie agricole ultra productiviste et d’une agrochimie en quête de marchés ? » interroge le président Christian Pons.
Cette interdiction des neurotoxiques néonicotinoïdes, mise en place il y a six ans pour protéger les écosystèmes, a déjà subi des dérogations inadmissibles accordées à la filière betteravière, que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugées illégales en janvier 2023. A son propos, l’argument des sénateurs Duplomb et Menonville, qui évoquent une « surtransposition » du droit européen, est faux : le règlement européen n°1107/2009 impose aux États membres de retirer du marché tout pesticide ne démontrant pas son innocuité sur les abeilles, sur leurs larves, sur leur comportement, sur la survie et le développement des colonies à court et à long terme, ce qui est le cas de tous les néonicotinoïdes dont les effets neurotoxiques dévastateurs sur les insectes se produisent à des doses infinitésimales.
Déjà, en septembre 2024, l’UNAF avait dénoncé la proposition de loi présentée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, qui défendait notamment le retour de l’acétamipride, un néonicotinoïde « tueur d’abeilles » interdit en France depuis 2020, notamment sous la pression de l’UNAF. Lire le CP.
Des régressions multiples sur la législation des pesticides
Au-delà de la remise sur le marché des néonicotinoïdes, le texte propose d’autres régressions graves pour la protection de la santé publique et de l’environnement. La proposition de loi vise notamment à :
– Abolir la séparation entre le commerce et le conseil sur l’utilisation des pesticides jusqu’alors mis en place pour prévenir les conflits d’intérêts, ce qui entraînera mécaniquement une surutilisation des pesticides augmentant les atteintes à la biodiversité, notamment la décimation à grande échelle des pollinisateurs. Une enquête de l’UNAF menée en 2017 a déjà démontré les dangers de cette situation.
– Autoriser à nouveau les remises commerciales sur la vente de pesticides, incitant ainsi à leur utilisation accrue au détriment des pratiques de lutte intégrée, alors que la directive européenne n°2009/128/CE impose de favoriser les techniques alternatives pour la protection des cultures.
– Rendre facultatif le conseil stratégique phytosanitaire, alors qu’il constitue un levier essentiel pour promouvoir des méthodes agricoles respectueuses de l’environnement.
– Permettre au ministre de l’Agriculture de suspendre des décisions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), en conférant à l’autorité politique le pouvoir de tenir en échec le diagnostic scientifique, au mépris de l’indépendance de l’évaluation et de la gestion du risque agrochimique, déjà fortement mise à mal. Cette régression qui réouvrirait la porte aux actions de lobbying de l’agro-industrie et de l’agrochimie fera primer des intérêts étrangers à la protection de l’environnement sur les impératifs de préservation de la faune polinisatrice déjà très dégradée et plus généralement sur l’environnement et la santé. Cette initiative est en contradiction frontale avec le droit européen, qui priorise la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement.
Un texte en contradiction avec l’évolution du droit européen
L’UNAF déplore que cette proposition de loi aille à l’encontre des objectifs européens visant à réduire l’usage des pesticides et à promouvoir des pratiques agricoles durables. Un tel texte, s’il était adopté, aurait des conséquences catastrophiques pour les abeilles, dont la survie est déjà fortement compromise par les pratiques actuelles. En mettant en péril les polinisateurs, la biodiversité mais aussi les exploitations des apiculteurs français, ce texte à courte vue et profondément régressif, qui rouvrirait en masse des contentieux nationaux sur les AMM, menace en vérité l’ensemble de la chaîne agroalimentaire.
Usage de drones pour la pulvérisation : une menace supplémentaire
Enfin, l’UNAF ne peut admettre l’initiative sénatoriale, à laquelle fait écho une proposition équivalente à l’Assemblée nationale, visant à autoriser des drones pour la pulvérisation de pesticides sur les cultures, sans même qu’une étude d’impact ait été réalisée. Ce dispositif technique d’utilisation de l’espace aérien présenté aujourd’hui comme la panacée en tous domaines – de la sécurité publique à l’agriculture – ne peut en aucun cas être envisagé comme c’est le cas, indépendamment des atteintes aux libertés publiques qu’il entraîne, ni en dehors des législations spécifiques relatives aux aéronefs. Sur le plan strictement environnemental, selon l’Anses, ces dispositifs augmentent considérablement la dérive des produits pulvérisés pouvant entraîner sur les écosystèmes non ciblés, notamment une contamination accrue des sols et des cours d’eau. Les pollinisateurs, essentiels à notre système agricole, en seraient évidemment et directement impactés et la proposition parlementaire ne peut se prévaloir d’aucune étude pertinente sur ces nouveaux risques, qui permettrait d’en envisager l’adoption.
Face à ces menaces, l’UNAF appelle les parlementaires à rejeter sans réserve ces propositions de loi inadmissibles, régressives, inadaptées et mal inspirées, qui compromettraient des années d’avancées obtenues avec peine, le plus souvent par les combats des apiculteurs apicultrices pour la préservation des pollinisateurs et plus particulièrement de leurs colonies d’abeilles, sentinelles de l’environnement.