Les 28 et 29 juin prochains les Etats membres de l’UE se réuniront à Luxembourg en vue d’établir les niveaux de protection considérés comme acceptable pour la protection des abeilles. En effet, figure à l’ordre du jour du prochain Conseil « Agriculture et pêche » (AGRIFISH) le Document guide d’évaluation des risques pesticides pour les insectes pollinisateurs, tristement célèbre pour sa non mise en œuvre politique et désormais en cours de révision. Il s’agira lors de cette réunion d’établir notamment le taux de perte de force des colonies lié à l’usage des pesticides que les Etats membres tolèrent ou jugent « acceptable ». Alors que la crise des pollinisateurs se poursuit et que l’UE met en place des initiatives plus globales pour stopper et inverser leur déclin , les États membres doivent s’engager concrètement pour leur protection.
Aujourd’hui 21 juin, l’Union Nationale de l’Apiculture Française, l’Association Bee Friendly, la Confédération paysanne et le Syndicat National d’Apiculture se mobilisent au niveau national afin de s’assurer que la France continuera de porter une position courageuse garantissant la plus grande protection possible des abeilles et autres insectes pollinisateurs face à l’impact négatif des pesticides.
Au même moment, 34 organisations apicoles, paysannes et ONG environnementales écrivent à la Présidence portugaise du Conseil de l’UE et à la Commission européenne pour rappeler l’importance des pollinisateurs au niveau européen et l’enjeu de leur protection, non seulement pour la biodiversité de l’UE, mais aussi pour le service de pollinisation qu’ils assurent et pour l’activité économique qui en découle .
La révision des méthodes d’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles est une procédure en cours depuis 2012, date à laquelle l’EFSA a reconnu que la procédure
utilisée était inadaptée , permettant l’autorisation de produits très (trop) nocifs pour les pollinisateurs, comme les insecticides de la famille des néonicotinoïdes. Il est plus que temps que les Etats membres de l’UE soient suffisamment courageux pour répondre à l’urgence du déclin des insectes pollinisateurs et aux difficultés de la pratique de l’apiculture, causés en grande partie par l’utilisation de pesticides non-correctement évalués.
Ci-dessous, le courrier envoyé ce jour au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et à la Ministre de la Transition Ecologique :
Madame la ministre de la Transition Ecologique, Monsieur le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation,
Au nom des apiculteurs de France, nous vous écrivons pour vous demander de défendre la plus grande protection possible des abeilles et autres insectes pollinisateurs lors de la réunion des ministres en charge de l’Agriculture au Conseil « Agriculture et Pêche » prévue les 28 et 29 juin prochain, afin de les protéger de l’exposition et de l’impact négatif des produits phytosanitaires et de permettre à nos abeilles ainsi qu’à de nombreux autres insectes de rendre au meilleur de leur potentiel le service de pollinisation aux agriculteurs et aux citoyens.
Il est inutile de vous rappeler l’importance des abeilles et des autres pollinisateurs pour assurer la biodiversité des paysages et la sécurité alimentaire. La stratégie « Farm to Fork » adoptée le 19 octobre 2020 par le Conseil souligne « le rôle vital des pollinisateurs pour la santé des écosystèmes et la sécurité alimentaire ». Pour les apiculteurs, ils représentent également leur outil de travail, leur ressource économique, ainsi qu’un héritage culturel. Compte tenu de la Stratégie « Farm to Fork » et de la Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 visant à inverser le déclin des pollinisateurs – dont le rapport vient d’être voté en plénière, nous vous demandons d’être cohérent avec celles-ci et d’assurer la plus grande protection possible des pollinisateurs dans le cadre de l’autorisation des produits phytopharmaceutiques. Ce point fait partie par ailleurs du plan « pollinisateurs » qui réaffirmait également dans son Axe 5, Action 5.2, dans la version rendue publique au 7 juin 2021, l’objectif de « renforcer l’évaluation des risques pour les pollinisateurs au niveau européen et national ».
Nos abeilles souffrent déjà de l’appauvrissement du paysage, du manque de ressources nutritives et de l’impact du climat. Les apiculteurs connaissent des pertes hivernales de l’ordre 25-30% ces dernières années . Cela pèse déjà sur le secteur apicole et sur le potentiel de pollinisation des insectes. Il faut savoir que si les abeilles mellifères connaissent des difficultés, toute l’entomofaune pollinisatrice souffre également. Le secteur apicole dépend profondément du paysage et des conditions environnementales, sur lesquelles nous n’avons que peu de contrôle. En outre, il est impossible de contrôler précisément les endroits où les abeilles vont chercher de la nourriture ou de l’eau. Nous vous demandons d’éviter de normaliser l’addition de la pression des pesticides en plus des facteurs de stress environnementaux que subissent les abeilles, les apiculteurs et les pollinisateurs sauvages.
Le document d’orientation de l’EFSA sur les abeilles de 2013 a proposé, suite à la décision des gestionnaires de risques des États membres de l’UE, le seuil de 7% d’impact sur la force des colonies comme effet acceptable pour faire l’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles . Le seuil de 7 % était fondé sur les données scientifiques les plus récentes et est déjà mis en œuvre dans la pratique de l’évaluation des risques, selon certains des derniers projets de rapports d’évaluation , comme décidé par la Commission et les États membres . En outre, le récent arrêt de la Cour de justice européenne indique clairement la nécessité de fonder les décisions sur les données scientifiques les plus récentes . Il a été porté à notre connaissance que la France propose de conserver ce seuil de 7% d’effets acceptables des pesticides sur les colonies d’abeilles.
Ainsi, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, ainsi que le Ministère de la Transition Ecologique français acceptent comme « normale » une perte de 7% de la force des colonies d’abeilles due aux pesticides. Les apiculteurs et les citoyens concernés s’interrogent sur la raison pour laquelle ils doivent accepter les conséquences du modèle agricole conventionnel. Selon nous, organisations apicoles, il est inacceptable, voire illégal, d’établir un cadre dans lequel les droits de certains citoyens sont supérieurs à ceux des autres. Pourquoi les agriculteurs n’accepteraient-ils pas plutôt de perdre 7% de leurs rendements ? En accord avec la communauté apicole, et compte tenu du rôle essentiel des pollinisateurs, nous souhaitons vous transmettre un message clair : seul un seuil de 0% d’impact sur la force des colonies provenant de l’exposition aux pesticides est acceptable.
Nous espérons que vous prendrez en considération notre demande, que vous préserverez nos droits en tant que citoyens et que vous défendrez au SCOPAFF et au Conseil « Agriculture et Pêche » des 28 et 29 juin prochain notre biodiversité, notre sécurité alimentaire et notre secteur apicole.
Meilleures salutations,
Signataires :
Frank Alétru, Président du SNA
Bertrand Auzeral, Président de l’Association Bee Friendly
Nicolas Girod, Porte-parole national de la Confédération Paysanne
Christian Pons, Président de l’UNAF